L’IFRS-IC en refusant de modifier la norme IFRS 15 consacre le jugement professionnel pour qualifier un intermédiaire commercial de mandataire ou de principal.

Lionel Escaffre
Professeur à l’Université d’Angers
Commissaire aux comptes associé Groupe Y NEXIA Paris

La plupart des éditeurs de logiciels assurent les ventes de leurs produits au moyen de revendeurs. L’IFRS-IC s’est interrogé depuis avril 2022 sur le traitement comptable du produit de ces ventes chez les revendeurs. Un revendeur conclu un accord avec un éditeur de logiciels pour vendre des licences de logiciel. Le contrat stipule que le revendeur doit conseiller son client dans le choix de la licence et dispose d’une marge de liberté dans le montant du prix proposé. Le revendeur est en charge de commander la ou les licences auprès de l’éditeur sur la base d’un prix convenu avec son client. Le revendeur assure le paiement de la commande auprès de l’éditeur au nom du client. Les licences sont livrées au revendeur par un portail internet avec un code d’accès individualisé pour ses clients. Autrement dit, le contrat entre le revendeur et son client est un droit d’accès à l’usage du logiciel, contrat comportant une garantie de bon fonctionnement et adapté à la demande du client. En effet, le client est en mesure de refuser l’usage du logiciel si celui-ci n’est pas conforme à ses attentes mais le revendeur ne pourra pas se prévaloir d’un retour des licences auprès de l’éditeur car la vente est parfaite entre l’éditeur et son revendeur.

L’IFRS-IC propose de retenir la norme IFRS 15 (§ B34 à B38) relative à la comptabilisation des produits pour une entreprise susceptible d’être considérée comme un mandataire. La question est donc de savoir si le revendeur doit comptabiliser en chiffre d’affaires le montant de la vente des licences de logiciel ou s’il doit au contraire ne comptabiliser que la commission sur ces ventes en produit.

L’IFRS-IC considère que le contrat du revendeur avec le client correspond à un engagement explicite de distribuer un type et une quantité précise de licences de logiciel standard au client final. Le Comité d’interprétation a retenu que les conseils dans le choix des typologies de licences fournis par le revendeur, clauses inclues dans la convention entre l’éditeur de logiciels et le revendeur, n’est pas générateur d’une obligation implicite dans le contrat avec le client. En effet, à la date de la conclusion du contrat avec le client final, le revendeur a déjà fourni les conseils pour le choix de la licence. En conséquence, lors de la conclusion de la vente, le client final est parfaitement conscient qu’il va recevoir une licence qui correspond aux termes du contrats consécutivement aux conseils prodigués par le revendeur. Aucun changement ou aléa ne peut être attendu à ce stade par le client final, sinon la vente ne serait pas parfaite. La licence est le bien vendu au client selon des conditions spécifiquement négociées, ce critère est repris d’ailleurs dans IFRS 15 (§ 34A).

Outre, le caractère spécifique des licences vendues qui valident le champ d’application d’une vente selon IFRS 15, l’IFRS-IC rappelle que le revendeur doit apprécier s’il dispose du contrôle des licences avant la livraison au client final et après les avoir obtenues auprès de l’éditeur. Le contrôle consiste à considérer d’un point de vue général que le revendeur est exposé aux risques et avantages de ces licences avant leur délivrance à son client. La notion de contrôle est qualifiée par des critères présentés par la norme IFRS 15 (§ B37).

A ce titre, le comité d’interprétation a remarqué que les licences sont livrées dans un premier temps au revendeur au nom du client final. Sur cette base, l’IFRS-IC toujours en référence d’IFRS 15 (§ 37) considère que l’éditeur est exposé au bon fonctionnement du logiciel et demeure responsable de l’engagement de livraison des licences auprès du client final. Toutefois, le revendeur est responsable des licences qui ne seraient pas acceptées par le client car il a effectué une prestation de conseil dans ce sens. Le revendeur n’est pas directement exposé au risque de stockage de ces licences tant que le client final ne lui a pas formulé une demande mais il reste responsable de ces licences si le client final lui refuse la livraison. Si le revendeur dispose d’une marge dans le choix du prix, il n’en demeure pas moins qu’il reste contraint dans ce choix par des conditions de marché susceptibles de lui imposer un prix. Mandataire ou Principal, ce qualificatif devient une réelle affaire de jugement, l’IFRS-IC ayant refusé de modifier la norme en l’espèce.

Sur un plan pratique, si le revendeur est libre (même sous contrainte) dans la détermination du prix de vente de la licence, qu’il dispose d’un droit de céder la licence à un autre client final si le client initial n’est pas satisfait à un prix libre et que ces licences sont considérées comme appartenant à son stock. Le revendeur agit en principal et le produit comptabilisé est constitutif du prix de vente des licences. Si le revendeur n’est pas responsable du fonctionnement de la licence, que l’engagement de livraison demeure sous la responsabilité de l’éditeur, que le prix demeure peu modifiable et que le risque de stockage est porté par ce même éditeur, le revendeur agit en mandataire et son produit est constitutif d’une commission prélevée sur la vente de ladite licence.

L’IFRS-IC rappelle que ce choix subjectif est à documenter et dépend des obligations de performance générées par le contrat de distribution. Ainsi le jugement porté par le revendeur sur l’application d’IFRS 15 dans ces circonstances en fonction des critères mentionnés ci-dessus doit être communiqué en annexe des comptes pour éclairer les investisseurs sur le modèle économique pratiqué par le revendeur (IFRS 15, § 119 et § 123).